Bâti ancien : Vulnérabilité
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LE BATI ANCIEN
VULNERABILITE - LES PRINCIPALES CAUSES
D’une manière générale depuis le début du XXe siècle, le bâti ancien des villages du haut pays augmente inexorablement sa vulnérabilité. Un processus qui s’est accentué après les deux guerres provoqué par l’exode rurale. Bon nombre de bâtiments sont restés à l’abandon, certain ont été démolis créant parfois des vides dans le tissu urbain.
Aujourd’hui le bâti ancien, avec la vie moderne et un choix des matériaux pas toujours bien adapté, non seulement il n’est pas suffisamment bien entretenu, mais il fait surtout l’objet de modifications de nature à le fragiliser.
Il fait quelquefois encore, l’objet de transformations modifiant les structures porteuses sans intervention d’architecte et de bureaux d’études. Il est donc conseillé à l’occasion de travaux, d’effectuer un diagnostic de la vulnérabilité acquise et de programmer des interventions de confortement en même temps que les travaux de confort.
Pour éviter tout risque d’endommagement, voire même d’accident, il est nécessaire de faire appel à des professionnels qualifiés du bâtiment et ne pas hésiter à se faire assister par un bureau d’études ou un architecte.
Voici ci-dessous un inventaire de points sensibles avec de nombreux exemples que nous enseignent le tremblement de terre ligure du 23 février 1887.
LES OUVERTURES
Au delà d’un certain niveau de dislocation, le processus de ruine du bâtiment commence. Cette dislocation peut commencer autour des ouvertures. Dans une façade, elles constituent des points vulnérables en cas de séisme.
Certaines ouvertures aujourd’hui posent problème.
Autrefois, le rez-de-chaussée des habitations servait d’étable ou de remise et possédait des ouvertures basses et étroites. De nos jours, de grandes percées ont été par endroits réalisées pour les besoins d’un commerce ou tout simplement d’un garage pour la voiture. Tout ceci bouleverse l’organisation ancienne des murs de façade et ne fait qu’affaiblir le bâtiment.
Prudence donc avec les linteaux trop faibles, ou bien de dimensions insuffisantes ou encore presque absents.

Séisme d’Ombria de septembre 1997 (Italie)
(Photos : André Laurenti)

(Photo : André Laurenti)
Dans les Alpes-Maritimes, lors du séisme de 1887, de nombreuses constructions
rurales ont été endommagées, d’une part par la médiocrité des matériaux
employés, mais aussi par les grandes ouvertures qui permettaient le séchage des récoltes. Par exemple, dans les vallées de la Tinée et de la Vésubie, l’habitat rural isolé et celui des villages, comporte pour la plupart des greniers ouverts appelés galetas. Ils sont munis de larges ouvertures sous toiture et représentent des points vulnérables lors de sollicitations sismiques.


(Photos : André Laurenti)
L’effondrement des greniers et des toitures endommageant les lieux de vie situés juste en dessous, a représenté probablement les principaux dégâts sévères sur le village de Clans, lors du tremblement de terre de 1887. Voir à ce sujet, l’étude menée sur le village de Clans dans la vallée de la Tinée.
L’APPORT DE BÉTON ARME
L’introduction dans un mur constitué de petites pierres liées à de la chaux ou à de l’argile, d’éléments en béton extrêmement rigides, peut avoir l’effet contraire à celui rechercher, c’est à dire augmenter la vulnérabilité car sous l’effet de la sollicitation sismique, il va se produire des coups de bélier et entraînera la ruine partielle, parfois totale de l’édifice.

Séisme d’Ombria de septembre 1997 (Italie).
(Photos : André Laurenti)
Sans aller bien loin, voici un exemple de travaux d’aménagement intérieur récents réalisés chez un particulier dans un village du moyen pays niçois, situé en zone 4.
Le plancher prend appui sur le mur côté rue qui sous l’effet d’un séisme, pourrait s’écarter et entraîner la chute du plancher.

armé précontraint, repose sur des appuis très peu stable

(Photo : André Laurenti)
LES SURÉLÉVATIONS
Une surélévation réalisée en structure rigide posée sur des matériaux d’origine, c’est à dire souples et par conséquent différents n’est pas recommandable sauf si l’ensemble est repris depuis la base.

(Photos : André Laurenti)
LES TRANSFORMATIONS
Les transformations qui se traduisent par la suppression des appuis porteurs sont susceptibles d’affaiblir la résistance de la structure porteuse. De surcroît, lors d’un séisme, elles risquent d’entraîner des dommages très sévères.
Ce fut le cas par exemple, pour ce bâtiment du quartier actuel du Piol (anciennement quartier Saint-Étienne) à Nice, lors du séisme de 1887.
Cet immeuble d’une longueur de façade de 32,60 m par 11 m de large, et pour une hauteur de 19,50 m, fut construit par l’abbé Camous en 1870. Il était composé d’un bâtiment central R+3 et de deux ailes adjacentes R+4. En 1878, le propriétaire loue le bâtiment à la ville de Nice qui installe aussitôt une école de garçons et de filles et les appartements des enseignants dans les parties supérieures.
Afin d’avoir des salles plus grandes, la ville procède à quelques transformations. Elle supprime toutes les cloisons de l’aile ouest du rez de chaussée jusqu’au deuxième étage (en bleu sur le plan), sauf celles du coté Nord.
Lors du tremblement de terre de 1887, l’aile modifiée s’effondre provoquant la mort d’une institutrice.

Selon le rapport d’expertise découvert aux archives, à l’origine ces cloisons avaient été directement élevées au dessus des autres, de telle façon qu’une série de cloisons similaires n’en formait qu’une seule partant du rez de chaussée jusqu’au comble. Cette disposition avait pour but de ne pas faire supporter les cloisons par les planchers. Elle permettait en même temps de soulager les poutres dont la portée en certains points était assez importante.
Ce rapport précisera aussi que les sections des poutres avaient été calculées pour reposer de murs à cloisons et de cloisons à murs.
Prudence donc sur les interventions dans le bâti ancien, on déplora ici une victime, mais cela aurait pu être catastrophique si le séisme s’était produit au moment ou les élèves étaient en cours.

(Schémas : André Laurenti)
Autre exemple d’augmentation de vulnérabilité, avec la chapelle Notre Dame de la Protection (MH) à Cagnes-sur-Mer.
Le tableau d’Auguste Renoir réalisé en 1906 est la seule représentation de ce porche à trois arcades. Au début du XXe siècle l’arcade de gauche, ainsi que deux piliers ont été supprimés pour permettre le passage des charrettes.
Cette modification ne fait que déstabiliser l’équilibre général de ce porche. C’est un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire, surtout en zone sismique.

Un séisme moyen peut entraîner des dégâts sur des édifices vulnérables comme cela a été la cas sur la chapelle de San Bernardo (vallée de la Roya) après le séisme de magnitude 4.7 du 21 avril 1995.
LE NON ENTRETIEN DU BATI
La vulnérabilité d’un bâti dépend non seulement de sa capacité de résistance, mais aussi - et surtout - du comportement de la communauté qui l’a utilisé. Cet exemple à Bar-sur-Loup, démontre l’attention particulière que l’on doit apporter au bâti ancien.
En effet, les archives de ce village nous apprennent que le séisme du 29 décembre 1854 provoqua de sérieuses lézardes dans la tour Est du château qui domine le village du Bar. Celle-ci, déjà bien abîmée par le temps et mutilée par des aménagements intérieurs, ne reçut aucune réparation par la suite. Trente-trois ans plus tard, ce qui devait arriver arriva, le 23 février 1887, à la suite du tremblement de terre Ligure, elle s’effondra partiellement sur trois habitations situées en contrebas, faisant deux morts et trois blessés.

(le journal de Grasse du 24 février 1887 - 76ème année n°8 - PR 464 Arch. Dép. des A.M.).
(photos André Laurenti)
La chapelle de la Miséricorde située en plein cœur du village de Breil dans la vallée de la Roya, comportait encore au début du XXIe siècle, une lézarde impressionnante sur sa façade principale et qui intriguait particulièrement les visiteurs. Elle avait pour origine le tremblement de terre du 23 février 1887.
Probablement lié à la publication en 1999 d’un article dans un magasine de la vallée de la Roya, la lézarde a finalement été bouchée sans toutefois renforcer cet édifice relativement imposant.

(Photos : André Laurenti)
FRAGILITÉ DES ÉDIFICES RELIGIEUX
Les édifices religieux sont des constructions extrêmement vulnérables face à un séisme. Ces schémas résument le comportement de l’édifice face aux sollicitations sismiques.
En 1 : une situation stable, tout se passe bien.
En 2 : survient un séisme, les ondulations du sol vont déformer l’édifice. Il va tout d’abord fléchir, exerçant une compression au niveau de la voûte et une première rupture de celle-ci. Cette compression va également provoquer le glissement du tirant.
En 3 : dans la période de retour, la voûte va se fracturer cette fois à l’opposé, le tirant tombe.
En 4 : au moment où la compression se relâche, la voûte et la toiture s’effondre.

(Schémas : André Laurenti)
C’est sans doute ce scénario là, qui aurait entraîné les chutes de nombreuses voûtes dans les églises de Bussana Vecchia, de Baiardo, de Castellaro en Ligurie, lors du séisme de 1887.

(Provenance : musée de Bussana Vecchia)
DENT CREUSE & ALIGNEMENT DE FACADE
Dans un alignement de façade soumis à une sollicitation sismique, ce sont souvent les extrémités qui soufrent le plus.
Parfois, au milieu d’un alignement, un bâtiment non entretenu voire en ruine est supprimé et remplacé par un jardin ou une placette. Dans ce cas, la continuité du bâti est rompue. Les constructions de part et d’autre de ce vide ou "dent creuse", deviennent alors plus vulnérables avec un risque de projection des murs pignons sur ces nouveaux espaces publics. Ces bâtiments doivent être renforcés.

Croquis : André Laurenti

(Collection : Didier Moullin)
HAUTEURS DE FAÇADES NON ALIGNÉES
Les désordres dus aux séismes montrent que les constructions dont les hauteurs sont très différentes souffrent davantage que celles dont les hauteurs sont identiques.
A ce sujet, le séisme ligure de 1887 a fourni quelques exemples sur Nice.

(Reproduction : André Laurenti)
LES CHEMINEES
Les cheminées sont des éléments vulnérables en cas de séisme. Ce sont les éléments qui tombent en premier comme ça été le cas lors du séisme d’avril 2014 en Ubaye. Les cheminées de la haute vallée de l’Ubaye sont très élevées en raison des pentes sévères des toits. Elles sont souvent situées en bord de toit. Il est donc conseillé en cas de séisme de ne pas sortir rapidement dans la rue.

(Photos : Paul Mandine)
LES ÉLÉMENTS ARCHITECTURAUX
Après les cheminées, les éléments décoratifs et architecturaux placés en hauteur et non suffisamment scellés peuvent également être précipités dans le vide lors de violentes secousses.
A Cagnes-sur-Mer, il est fort probable que le château Grimaldi ait subi des dégâts lors du séisme de 1887. Étant à cette époque entre les mains d’un propriétaire privé, il n’a pas été possible de découvrir des documents le confirmant. On sait seulement, qu’il a subi des fissures lors du séisme de 1854, un événement nettement moins puissant que celui de 1887.
Le château semble bien assis sur un sol compact constitué d’un poudingue non fracturé. Sans fondation, son embase en patte d’éléphant le rend massif et solide. Ce sont plutôt les parties élevées qui seraient les plus vulnérables aux sollicitations sismiques, comme par exemple les merlons et la tour. Ces éléments n’existaient pas lors du séisme de 1887.

(Photos : André Laurenti)
En Emilia Romagna voici la place del Guercino et son Hôtel de Ville au cœur de la localité de Cento (province de Ferrare), avant le tremblement de terre de 2012 et après. Les merlons sont presque tous tombés.

(Photos : gauche capture Google street Map - droite André Laurenti)

(Photos : André Laurenti)
CAS DE VULNÉRABILITÉ D’UN VILLAGE
Le village de la Bollène Vésubie a été sévèrement endommagé par le séisme ligure du 23 février 1887. Depuis cette catastrophe, l’ensemble du village n’a pas cessé de croître sa vulnérabilité (construction avec matériaux hétéroclites, bâti privé de mesure de renforcement, tissus urbain clairsemé, instabilité de terrain etc...). Pour en savoir plus, consulter la page consacrée à la Bollène Vésubie.
CHANGEMENT D’AFFECTATION D’UN BÂTIMENT ANCIEN
Dans certains cas, le changement d’affectation d’un bâtiment ancien en établissement recevant du public (E.R.P.) nécessite l’application des règles parasismiques pour assurer la sécurité du public et aussi de règles liées à l’accessibilité des personnes handicapées. Ces mesures sont paradoxalement un facteur de vulnérabilité.
En effet, ces mesures donnent lieu à une augmentation des coûts d’interventions et rendent particulièrement complexe le projet de réhabilitation. Tout se complique encore davantage lorsque des parties d’un bâtiment restent encore privatives. Il en résulte l’impossibilité d’adapter le bâtiment aux exigences actuelles.
C’est le cas par exemple, pour des immeubles acquis par des municipalités et à qui manquent les moyens pour intervenir. Cela entraîne alors, l’abandon, l’altération du bâti avec le risque d’entraîner des dommages aux constructions riveraines ainsi qu’aux passants.
L’urbanisme et le risque sismique
Les communes fixaient leurs règles d’urbanisme sans souvent intégrer les conséquences d’un séisme. Par exemple, l’obligation de construire en limite de parcelle négligeait totalement l’interaction de l’immeuble neuf avec les immeubles existants. Un immeuble (R+6) n’aura pas la même résonance qu’un R+1 qui lui est accolé comme on peut le voir sur la vue ci-dessous.
Une telle situation est mieux maîtrisée de nos jours avec des joints de dilatation plus importants (6 cm minimum).

de hauteurs plus élevées. Lors d’un séisme l’oscillation
des immeubles élevés peut provoquer des dommages à
la construction ancienne plus basse.
(Photo : A. Laurenti)
Voir également la page consacrée aux confortements du bâti ancien
Orientation bibliographique
– Archives Départementales des Alpes-Maritimes, 1887. Rapport de gendarmerie, brigade de Bar-sur-Loup, 26 février 1887, réf. Dos 1M 16 164 à 16 172.
– Archives Départementales des Alpes-Maritimes, du 16 juillet 1888.. Rapport d’expertise du tribunal de Nice concernant l’école du quartier Saint-Étienne (immeuble Camous), réf. : O3U 01/1163.
– C.E.T.E. et I.P.G.R. janvier 2000 prévenir le risque sismique dans les centres anciens - guide à l’usage des maires
– Combescure, D., Gueguen, P., Lebrun, B., 2005. Vulnérabilité sismique du bâti existant : approche d’ensemble. Cahier Technique n°25, AFPS, Paris.
– Flammarion C., 1887. Les tremblements de terre et leurs causes. Revue l’Astronomie, avril 1887, p. 121-142. Académie des Sciences, Paris.
– Giuffré, A., 1993. Sicurezza e conservazione dei centri storici. Il caso Ortigia. Editori Laterza.
– Le journal de Grasse du 24 février 1887, 76ème année n°8, Archives Départementales des Alpes-Maritimes, réf. PR 464.
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