Effets du séisme sur Peille

jeudi 16 juillet 2020
par  André Laurenti

PEILLE
Superficie : 4 316 ha - Alt. : 630 m.
Latitude : 43° 48’ 11’’ Nord - Longitude : 7° 24’ 09’’ Est
Population : 1 591 habitants en 1886 – 2 369 habitants en 2020
Intercommunalité : Communauté de communes du pays des Paillons

Cadastre : Section/feuille : E1 (d) - Année 1866

Commune de Peille
Peille est situé sur un versant dominé à 650 m d’altitude
(Photo : André Laurenti)

Situation géographique
Le village de Peille se situe à 650 m d’altitude, proche de Nice (16 km) et de la principauté de Monaco (7 km) deux agglomérations fortement peuplées (382 000 habitants).
Il s’inscrit dans un secteur extrêmement tourmenté, agrippé sur le flanc Sud du mont Castellet (825 m). il est barré au nord par l’imposante Cîme de Baudon (1 266 m) et le col routier de la Madone (928 m), à l’est par la Cîme de Morgelle (1 079 m), celle de Gariglian (1 108 m) et des Cabanelles (1 090 m) et enfin au sud par le mont Rastel (802 m). Au sud du village, une entaille profonde permet au torrent du « Faquin » de couler parmi les rocailles jusqu’au hameau de la Grave de Peille situé en aval, où il conflue avec le Paillon de la Grave. Ce site remarquable de Peille s’ouvre vers le sud-ouest perpendiculairement à la vallée du Paillon.

Commune de Peille
Situation du village au coeur d’un relief tourmenté
(Schéma : André Laurenti)

Un tissu urbain qui joue des coudes
Le bourg médiéval est desservi par des ruelles étroites et tortueuses bordées par des maisons semblant jouer des coudes, reliées par de nombreux portiques et s’alignant judicieusement le long des courbes naturelles du sol. Les difficultés de la vie de montagne, les dangers de l’isolement, l’insécurité, obligèrent cette communauté à se grouper étroitement formant une bourgade compacte.

Commune de Peille
Le village est édifié dans un site tourmenté, dominé par le mont Castellet (alt. 825 m)
(Photo : André Laurenti)

La pierre de taille un élément essentiel de maçon
Tout autour du village, la pierre calcaire est abondante, ce fut une aubaine pour les bâtisseurs qui l’ont largement utilisé pour construire les maisons. Cette pierre était utilisée sous forme de moellons, liaisonnés au mortier de chaux, les blocs équarris étaient réservés aux chaînages d’angles et aux embrasures. Le bois (cyprès, sapin, mélèze, châtaignier, pour l’essentiel), a été employé au niveau des structures internes et des éléments de fermeture.
La pierre provenait des carrières ouvertes encore visibles du quartier Carcaïs, situées juste en dessous le quartier Val de Ville. Cette particularité dans la construction, donnait aux bâtisses à la fois ce caractère de gravité et de noblesse. Maintes portes et fenêtres, la plupart réduites ou partiellement murée, montre intact l’ogive ou l’arceau romain. La perfection de l’ouvrage est une preuve évidente que la plupart des habitations durent appartenir à des familles aisées [1].

Commune de Peille
Les entourages d’ouvertures sont extrêmement forts, avec à gauche une ouverture réalisée avec seulement 4 pierres
(Photos : André Laurenti)

La catastrophe ancienne du Concas
L’histoire du village rapporte que dans les temps anciens une terrible catastrophe s’est produite. Elle a marqué le quartier de la Barme appelé aussi « lo Concas », une dénomination qui viendrait du verbe concasser, briser, détruire. A la base des vieux remparts se trouvait l’église paroissiale Saint-Symphorien ainsi que de nombreuses maisons d’habitation de personnalités officielles et des Comtes de Provence. On raconte que toutes ces constructions furent ensevelies par un éboulement lors d’un tremblement de terre que l’historien Durante situe en 1326. Cet événement, écrit Durante, fit se détacher du mont Castellet d’énormes blocs de pierre qui anéantirent tout sur leur passage.
Dans ses ouvrages sur la commune Pierre Gauberti historien peillois, remet en question cette date. Il rappelle que l’église Saint-Symphorien est encore mentionnée en 1488 dans une bulle du pape Innocent VIII et dans un acte notarié de 1506 ayant trait à un legs de messe pour les défunts. La catastrophe du Concas serait encore postérieure à ces deux dates, mais quel serait ce séisme ? [2].
Le séisme Nissart de 1564 pourrait alors devenir un candidat sérieux, d’autant plus qu’un article de presse de 1866 dans une brève énumération de séismes anciens, rapporte pour du séisme de 1564, qu’une montagne se détacha à Peille, sans donner plus de précision [3].
Parmi les textes d’historiens tardifs à un événement, il est courant de relever des erreurs de date suite à des confusions entre par exemple le 3 et le 5, cela pourrait être une explication.

Des dégâts sévères à Peille
Avec un environnement karstique constitué d’épaisses couches calcaire et aussi une urbanisation compacte avec des bâtiments en pierre de taille, confortés par d’innombrables portiques, toutes les conditions étaient réunies pour que ce village soit à l’abri des effets désastreux d’un tremblement de terre, et pourtant cela n’a pas été le cas. On peut alors s’interroger et tenter de trouver une explication.

Le matin du 23 février, une cinquantaine de maisons ont été plus ou moins malmenées, parmi elles, celles habitées par les gardes champêtres, Blanchi et Repaire qui ont dû être immédiatement évacuées. A l’entrée ouest du village, la toiture de la chapelle Saint-Roch s’est effondrée. L’hôtel de Ville est complètement lézardé et l’école a été évacuée par l’instituteur et l’institutrice, ils n’osent plus y faire classe. Une panique générale régna parmi la population de cette commune [4].
Le cadastre de 1866 (feuille E dite du village), montre que la mairie et probablement l’école souvent associée, se trouvait au Palais Lascaris. Ce bâtiment isolé est édifié sur un rocher détaché [5].

Palais Lascaris
En 1887 la mairie et l’école étaient réunies dans ce bâtiment. Il faudra attendre 1930 pour que la mairie s’installe dans la chapelle Saint-Sébastien au centre du village
(Photo : André Laurenti)

La presse communiqua peu sur ce village, on ignore comment se sont organisés les hébergements, les secours etc... Malgré tout, quelques lignes d’un article font savoir que la moitié du village est inhabitable, les maisons sont crevassées ou à moitié détruites, les habitants ont pu fuir à temps sans aucun accident de personne, ils campent dans les campagnes [6].
Un autre journal nous dit que quatre vingt à cent familles se trouvèrent sans abris. Il rappelle aussi le désespoir de ces habitants, déjà tant éprouvés par les mauvaises récoltes, suite aux intempéries de novembre et décembre 1886 [7].
Ici, comme dans la plupart des villages, il a fallu compter sur le dynamisme du Maire et la volonté de quelques habitants, pour gérer au mieux la situation. La population a dû attendre onze jours pour que M. Millo le conducteur des Ponts et Chaussées se déplace à Peille afin de constater les dégâts et indiquer les mesures à prendre pour la sécurité publique. Le Maire n’a pas attendu cette visite pour agir, les travaux les plus urgents avaient déjà été fait ou bien en voie d’exécution.
Millo a constaté que tout le village a souffert. La plupart des maisons de la rue Sottrana devront être démolies et reconstruites. Quant au quartier Bourgailha, qui a le plus souffert, il devint urgent de soutenir le terrain sur lequel il est bâti, sans quoi à la moindre infiltration des eaux il glissera à la pente et entraînera avec lui les maisons même les mieux consolidées [8]. Il fut préconisé de construire en contre bas, un gros mur de soutènement d’une longueur d’environ 100 à 130 m et d’une hauteur moyenne de 6 m [9].
Un autre article apporte des nouvelles de cette commune. Les dégâts sont plus considérables qu’on ne l’imaginait. Une quarantaine de maisons devront être reconstruites en totalité ou en partie. L’église qui ne paraissait pas avoir souffert, aura besoin de nombreuses réparations. Les chemins, surtout ceux qui sont au nord du village, réclament des travaux urgents.
Une commission a été nommée pour s’occuper des réparations incombant à la commune. Une somme de 50 fr destinée à pourvoir au plus pressé a été mise à la disposition du Maire [10].

Commune de Peille
A gauche, la partie supérieure de l’ancien palais de justice fut reconstruite après le séisme. A droite, le la chapelle Saint-Roch fut reconstruite au même emplacement
(Photos : André Laurenti)

L’état des effets du tremblement de terre sur les communes du département établi par la Préfecture mentionne pour Peille : 145 perdants – 3 maisons détruites et 39 maisons en partie détruites [11].
La découverte aux Archives Départementales d’une liste des dégâts par propriété auxquels été associés les références cadastrales, a permis de mettre en lumière les bâtiments endommagés et de voir leur répartition spatiale dans le village. Les indicateurs utilisés pour classifier les dommages étaient les suivants :
 Totalement détruite
 partiellement détruite
 endommagé [12]
Ainsi l’ensemble des informations recueillies a permis sur un extrait cadastral de 1866, d’avoir une meilleure vision des effets du séisme.
Les dégâts ont affecté l’ensemble du village avec des points plus endommagés que d’autres comme le quartier Bourgailha, la place Saint-Antoine (place Carnot) et la place Princesse Caroline de Monaco, au quartier du Pous et autour de la place de la Colle (place Mont-Agel).

Extrait cadastral de Peille
Application des effets du séisme de 1887 sur le cadastre de 1866
(Carte : André Laurenti)

Les effets du séisme sur le patrimoine
Au dessus de la route les ruines de remparts encore visibles auraient été en partie endommagées par le tremblement de terre. Plus tard une autre partie sera détruite pour le passage de la route [13].
On remarque sur place des lézardes importantes qui pourraient avoir pour origine le tremblement de terre.

Commune de Peille
Une partie des remparts a été endommagée par le tremblement de terre
(Photos : André Laurenti)

L’église paroissiale Sainte-Marie
Le séisme a occasionné de sérieux dommages à l’église paroissiale et notamment au clocher. Dans sa séance du 21 juillet 1889, le Conseil de Fabrique de la paroisse expose qu’à la suite du séisme le clocher a beaucoup souffert et que les escaliers intérieurs ont été en partie détruits ainsi que leurs paliers, c’est-à-dire les voûtes. Les mêmes secousses ont déplacé les cloches qui ne tiennent en place qu’imparfaitement. L’architecte Millo, a également relevé des dégâts assez importants à la toiture. La voûte de la nef du milieu a été fendue dans toute sa longueur d’est en ouest, les murs de la périphérie se sont écartés et la voûte de la nef du côté de l’évangile menace sur deux points [14].

Eglise paroissiale Sainte-Marie
L’édifice a subi des dommages lors du séisme. A l’extérieur, des arches ont été réalisées pour maintenir les murs
(Photos : André Laurenti)

Chapelle Saint-Sébastien
Cette chapelle occupée aujourd’hui par la Mairie, a eu beaucoup à souffrir du tremblement de terre. L’édifice a dû être réparé immédiatement et cela malgré des revenues insuffisant pour faire face aux réparations à faire. Cette intervention rapide s’explique par le fait qu’elle est placée au centre du village et rend de grands services à la population. Elle servait au cantonnement des troupes lorsqu’elles passaient à Peille, et puis pendant l’hiver, à une partie des habitants pour accomplir leur devoir religieux, sans être obligés de se rendre à l’église paroissiale plus éloignée [15].

Commune de Peille
La chapelle Saint-Sébastien avec son dôme particulier abrite aujourd’hui la Mairie
(Photo : André Laurenti)

Chapelle Saint-Roch

Le tremblement de terre détruisit entièrement cette chapelle orientée Est Ouest. L’édifice édifié à l’entrée ouest du village, daterait de la fin du XVIe ou du début du XVIIe siècle. En 1898 des artisans maçons l’ont reconstruite sur le même emplacement par des artisans maçons.

Le Palais Lascaris
Comme on a pu le voir, au moment du séisme cet édifice selon le cadastre de 1866, abritait la mairie et aussi l’école. Le matin du tremblement de terre, le bâtiment a été complètement lézardé à tel point que les enseignants n’osèrent plus y faire l’école [16].

Palais Lascaris
Le Palais Lascaris vers 1920
(Visuel patrimonial de Peille)

Montant attribué pour les réparations des édifices communaux
Parmi les 500 000 fr (environ 2 134 475 euros), correspondant au montant de l’emprunt contracté par le département auprès du Crédit Foncier de France et destiné à la réparation des édifices publics départementaux et communaux, la commission départementale attribua à Peille :
 900 fr (environ 3 840 euros) pour la réparation de l’école des filles et garçons (Palais Lascaris)
 1000 fr (environ 4 270 euros) pour l’église paroissiale Sainte-Marie [17].

A qui la faute ? ou à qui la fault ?
Ce village montre avec orgueil, une orgie de pierres de taille dont les bâtisseurs s’étaient servis pour le construire de la manière la plus noble. Les bâtiments conçus dans l’ensemble, avec des matériaux d’excellente qualité, avec des chaînes d’angles en pierre calcaire équarrie et des bâtiments consolidés par de nombreux portiques, par des entourages d’ouvertures extrêmement forts, ne peuvent pas être incriminés. La catastrophe du « Concas » et le besoin de soutenir le terrain sur lequel est bâti le quartier de la Bourgade (Bourgailha), invite à porter l’attention sur la géologie du site et une certaine instabilité des sols.
Peille est situé carrément à l’aplomb d’un faisceau de failles dont l’une, la longue faille appelée « Peille Sainte-Thècle » avec ses déformations associées, traverse le village.
Il est difficile d’avancer l’hypothèse que ces accidents aient joué un rôle de "conducteur" au séisme ligure. L’avis en effet des spécialistes sur ce sujet reste très partagé. Toutefois, on peut constater que la faille "Peille-Sainte Thècle", traversant Peille, d’une longueur estimée à 18 km, a dans sa vie de faille, broyé les roches qui se trouvent sur son passage (brèche de faille), favorisant les infiltrations d’eaux et la formation de vides et de cavités rendant ainsi très instable le site sur lequel est édifié Peille. L’amplification des dégâts lors du séisme peut donc s’expliquer par une instabilité du terrain.

Faille Peille Sainte-Thèle
Une faille importante passe sous le village et se poursuit jusqu’à Sainte-Thècle dans le Paillon. Voici une de ses expressions en surface avec ce miroir de faille observable au nord du village
(Photo : André Laurenti)

Effets du séisme sur les hameaux
Toutefois, comme sur d’autres communes de ce secteur, la population éparse demeure importante, 579 habitants selon le recensement de 1886. On ne dispose d’aucune information sur les hameaux qui regroupent le plus d’habitants comme Blausasc (hameau de Peille à cette époque), la Grave de Peille et la Pointe de Peille.

Remarque
Le hameau de Blausasc était rattaché à Peille jusqu’au 13 janvier 1926. A cette date le Conseil d’État vota la loi prononçant la création d’une nouvelle commune des Alpes Maritimes


[1Laurenti André : Regard sur la sismicité historique de la commune de Peille dans les Alpes-Maritimes – Actes des VIe Rencontres – Archéosismicité et Vulnérabilité Environnement, bâti ancien et société Groupe APS 2002

[2Gauberti Pierre auteur de trois volumes sur la commune de Peille édités le 14 juillet 1973 – Tomes I et II : Peille son histoire – Tome III Peille mon village – Serre Editions

[3Journal de Nice du jeudi 24 mai 1866 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[4Dossier pédagogique sur le tremblement de terre de 1887 réalisé par les Archives Départementales des Alpes-Maritimes - Rapport de gendarmerie sur les dégâts causés dans la région de l’Escarène, 24 février 1887 1M987

[5Cadastre 1866 de Peille - Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[6Le petit Niçois du 25 février 1887 – Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[7Le Phare du Littoral du jeudi 10 mars 1887 – Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[8L’Éclaireur du Littoral du 7 mars 1887 – Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[9Dossier 1 M 986 Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[10Le petit Niçois du 10 mars 1887 – Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[11Etat présentant par communes le nombre de maisons détruites, très endommagées et partiellement détruites - Archives Départementales des Alpes Maritimes

[12Dossier 1 M 986 Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[13Gauberti Pierre auteur de trois volumes sur la commune de Peille édités le 14 juillet 1973 – Tomes I et II : Peille son histoire – Tome III Peille mon village – Serre Éditions

[14Gauberti, Pierre, Peille son histoire, 1973, t. 1, p. 292

[15Extrait du registre des délibérations du Conseil Municipal de la commune de Peille 9 octobre 1887 – Institut de protection et de sûreté nucléaire (I.P.S.N.)

[16Dossier pédagogique sur le tremblement de terre de 1887 réalisé par les Archives Départementales des Alpes-Maritimes

[17Le petit Niçois du dimanche 13 novembre 1887 – Archives Départementales des Alpes-Maritimes


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