Le village de Castillon
par
L’ancien village de Castillon
Cet ancien lieu habité a eu sa place dans l’histoire grâce à sa position stratégique surplombant le passage obligé pour se rendre de Menton au sud, à Sospel au nord. Le village de Castillon a survécu ainsi aux nombreuses invasions, mais ne pouvait pas soupçonner une fin aussi brutale et des déplacements aussi rapprochés.
A l’époque du tremblement de terre, Castillon était édifié à 784 mètres d’altitude, tout en haut d’une écaille rocailleuse très étroite orientée nord sud et dominant le col géographique portant le même nom. Cette position sur la roche, permettait de réserver les terres environnantes à une culture en restanque, comme dans beaucoup d’autres lieux du département.

(Reproduction ; carte postale)

(reproduction : carte postale)
Les coteaux de Castillon fournissaient un vin de pays exquis et réputé, la pomme de terre y était aussi célèbre, également les fruits des vergers, le lait de chèvre et de vache.
La population essentiellement pastorale habitait des constructions plutôt rustiques pas toujours bien entretenues, elles n’avaient donc pas vraiment les qualités nécessaires pour résister aux secousses d’un tremblement de terre comme celui du 23 février 1887.

(Photo ; A. Martel)
ANCIEN VILLAGE
Alt. : 784 m
Latitude : 43° 50’ 09" Nord - Longitude : 7° 27’ 32" Est
Population : 339 habitants en 1886
Cadastre Napoléonien
Section : B1 Le Village
Castillon a été le village le plus endommagé du mentonnais. Déjà, le 30 juin 1886, un violent orage de grêle avait détruit toutes les récoltes. Huit mois après, le séisme anéanti toute espérance, plus d’abri, plus aucun moyen d’existence, sans récolte et sans argent, bref la misère la plus totale s’est abattue sur cette communauté.
Le jour du tremblement de terre
Le jour du séisme M. Barriera Maire du village adresse une lettre au Préfet des Alpes-Maritimes lui décrivant la situation de détresse de sa commune :
J’ai l’honneur de vous faire connaître que ce matin vers les 6 heures une terrible secousse de tremblement de terre a détruit plus des quatre cinquièmes des maisons de ce village il y a eu des morts et des blessés, plus de trente familles sont sans abri et sans ressources obligées de bivouaquer ou de se remiser dans le petit nombre de maisons restées debout. Tout le monde est dans l’anxiété attendant toujours de nouveaux désastres, qui paraissent imminents.
Des secours de toute sorte nous seraient nécessaires j’espère, Monsieur le Préfet, que votre sollicitude pour les malheureux nous fera obtenir ce qui est indispensable au soulagement de ces pauvres infortunés (...) [1].

Dès la nouvelle, les gendarmes du canton de Sospel se rendirent sur les lieux, ils rédigèrent le rapport suivant :
La commune de Castillon a été éprouvée d’une manière terrible ; sur 48 maisons dont le village est composé, 22 sont complètement écroulées, 10 sont inhabitables, et les autres fortement endommagées. Le village est abandonné. L’aspect est navrant, la désolation est immense et la misère suivra de très près à ce désastre car les habitants ont leurs récoltes et leurs provisions de toute nature ensevelies sous les ruines. Ce village comprend 313 habitants divisés en 58 ménages dont la plus grande partie sont sans asile et sans ressource à la suite de ce désastre.

(Source : Société d’Art et d’Histoire du Mentonnais)
Le bilan est lourd, deux enfants ont été tués, ce sont : Basilia (Caroline), âgée de 8 ans et Bottin (Victor), âgé de 3 ans. Les nommées Valetta Caroline, âgée de 46 ans et Saramito Catherine, âgée de 42 ans, ont été blessées assez grièvement. Une vingtaine d’autres personnes ont été contusionnées. Les premiers soins ont été prodigués par M. Sassi, docteur en médecine et sur son avis dix sept personnes ont été transportées à l’hospice de Sospel… Une partie des habitants campe sur la route et dans les champs ; un grand nombre ont abandonné les étages supérieurs des maisons et se sont installés au rez-de-chaussée et dans les corridors afin de rendre la fuite plus facile dans le cas où des secousses plus fortes viendraient à se produire [2].

Un article de presse témoigne de la violence des secousses : "il ne reste qu’un amas informe, horrible à parcourir, des poutres, des gravats, de vieux meubles dont une partie s’est éboulée sur les parois du versant sud. Des pans de murs ne tiennent plus que par miracle. On ne reconnaît même plus l’emplacement de certaines rues. On procède activement au déblaiement des décombres et on travaille à consolider ou à démolir les maisons menaçant ruine".
Parmi ce monceau de ruines, seuls l’école, la maison du maire, le presbytère et l’église ont été épargnés, le clocher quant à lui, est tellement lézardé de haut en bas que sa démolition sera inévitable [3].
Autre témoignage d’un correspondant du Petit Niçois qui a passé la journée dans le village, il publiera le 7 mars le récit suivant : "Vers l’ouest du village, des hommes, des femmes, des enfants ont roulé trente mètres avec les pierres, les poutres, plâtras etc... sans être blessés. La famille Albin Jérôme est descendue dans un véritable précipice, la femme seule a été blessée légèrement à la tête et à la main, le mari qui a été retiré avec des cordes, n’a rien, les enfants furent indemnes.
Un nommé Barroi et sa femme négociante, Blancardi Joachim et sa famille sont restés sur le bord d’un précipice sur le lit que l’on remarquait encore au sommet des ruines. Ils ont pu se sauver à travers le trou d’un mur resté debout. M. Durante, à la première secousse sauta au bas du lit, il était temps, car une poutre brisa la portion du lit qu’il occupait et épargna l’autre moitié du lit occupée par sa femme.
M. Blanchi Paul et tous ceux qui ont des maisons en dehors du village, les ont mises gracieusement à la disposition des habitants restés sans abri" [4].
La presse rapportera aussi que la femme du garde champêtre, dont le mari a été grièvement blessé et qui a failli être enterré vivant, déjà un peu indisposée avant la calamité, a succombé aux suites de la frayeur [5].
La conduite du Maire fut exemplaire. A la tête d’une escouade de jeunes gens et d’ouvriers, il dirigea les sauvetages, travaillant lui même au milieu des ruines pour retirer les blessés et les transportant dans sa maison transformée en hôpital de fortune. Durant les premiers jours, à défaut de toute aide extérieure, on ne pouvait compter que sur l’entraide des habitants [6].

(Source : Société d’Art et d’Histoire du Mentonnais)
Les visites officielles et les aides se font attendre
Le vendredi 25 février M. Quilichini commissaire spécial de la Gare qui a accompagné le Préfet à Menton, s’est rendu à Castillon pour se rendre compte de la situation et pour distribuer quelques secours [7].
Comme à Menton les aides se font attendre, des abris font toujours défaut, certains sinistrés continuent à dormir à la belle étoile [8].
Le 27 février 200 kg de pain arrivèrent enfin, ils ont été envoyés de Menton par les soins du Préfet [9].
Le même jour, le commandant d’un détachement du 24eme chasseur, a mis à la disposition des autorités civiles une section de 20 chasseurs à pied commandée par un sous-officier. Ces militaires ce sont occupés à retirer, non sans de grandes difficultés, les denrées alimentaires d’utilité immédiate, car les habitants sont campés ça et là dans la montagne, sans pain ni autre nourriture [10].
Les autorités départementales se firent désirer, il faudra attendre le 20 mars soit 25 jours après le séisme pour que MM. Borriglione et Roure députés des Alpe-Maritimes et M. Henry le Préfet du département se rendent à Castillon. Les habitants se sentirent moins oubliés et apprécièrent malgré tout, cette preuve de sympathie un peu tardive.
Lors de cette visite, ils constatèrent que sur les 67 maisons qui composait le bourg, 46 furent absolument inhabitables et devront être complètement réédifiées, quant aux autres, elles furent plus ou moins atteintes, aucune ne restera indemne.
Au cours de cette visite, le maire du village exprima les besoins les plus urgents qui étaient la construction d’un four public [11].
La vie s’organise petit à petit
Le Maire resta toujours actif, distribuant le pain que la Préfecture envoie désormais chaque jour. Des vivres de toute nature que la population de Sospel fait parvenir, arrivent régulièrement.
Certains habitants qui ont des maisons en dehors du village, les ont mises gracieusement à la disposition des sinistrés [12].
Le Comité anglais de Menton envoya quelques secours de soupes à Castillon sur la sollicitation d’une personne charitable qui avaient appris la détresse des habitants [13].

(Photo : Fournier ref. 10 Fi Arch. Dép. A.M.)
Un état un peu plus officiel établi par la préfecture présentant les pertes par commune nota pour Castillon : 60 perdants, 36 maisons détruites et 12 maisons en partie détruites [14].

(reproduction : carte postale)
Dans une revue scientifique du 1er semestre 1887, un article tente de fournir une explication sur les raisons de la destruction de Castillon.
Aucun village en France, n’a été abîmé autant que celui-ci. La partie supérieure de la montagne est toute disloquée. Elle est formée par l’adossement de couches très inclinées. Ce sommet disloqué est d’une faible épaisseur. La forme de la montagne est celle d’une lame de couteau inclinée obliquement du sud au nord et la partie ouest est presque verticale. Les stratifications du terrain dans ces divers sens ne donnent aucune solidité aux maisons bâties sur le sommet. Le village n’est pas bâti directement sur le rocher comme à Monaco, mais bien sur des éboulées et sur des vides comblés par l’argile. Or si des matières molles ou des masses lâches reposent sur la roche dure et solide, la moindre vibration de la base suffit pour produire un ébranlement des masses molles. Il se produit le phénomène qu’on peut si facilement répéter avec de la poudre fine qu’on place sur une plaque métallique et qu’on fait résonner. Le mouvement vibratoire se transmettant de la roche compacte aux formations meubles tend à projeter ces dernières.

Un déplacement décidé
Très rapidement le Préfet indiqua que Castillon est anéanti et en décida son déplacement.
En effet, le village ne tardera pas à n’être plus qu’un souvenir. Un mois après la catastrophe, la presse écrira que le village sera probablement reconstruit sur le plateau du souterrain de la Garde [15].
Quelques jours après, on apprend qu’un projet est à l’étude. M. Orengo conducteur des Ponts et Chaussées à Sospel a été chargé de lever un plan général d’étude et que ses opérations ont commencé [16].
Les habitants abandonnèrent par la suite le vieux village, ils s’installèrent cinquante mètres plus bas, au col géographique nettement plus facile d’accès et sur un terrain beaucoup plus plat.

(Reproduction : carte postale)

(Reproduction : carte postale)
Les ruines du villages resteront encore visibles comme l’attestent les cartes postales anciennes, jusque dans les années 30. Par la suite, l’ancien village sera remplacé définitivement par l’édification d’un fort de la ligne Maginot destiné à arrêter les éventuelles attaques italiennes. De nos jours, il ne subsiste plus grand chose du village primitif, excepté quelques traces de fondations encore visibles.

(Carte Postale : Gilletta)
Un tremblement de terre et deux déménagements
Après le terrible souvenir du tremblement de terre, le mauvais sort continu à s’acharner sur Castillon. En effet, pendant la dernière guerre, le nouveau village fut bombardé par les alliés en 1944, touchant la plupart des maisons. Comment faire ! faut-il rester là ? les habitants s’interrogèrent.

(Photo : archives de Nice-Matin.com)
Le nouveau Castillon cerné par des terrains militaires, n’avait pas la possibilité de prospérer et de s’étendre. Un troisième emplacement fut alors étudié. Il sera finalement reconstruit quelques kilomètres plus bas, sur le versant sud du col, sur les hauteurs du hameau de Monti, au dessus de Menton.

(Source : Archives Départementales des Alpes-Maritimes)
NOUVEAU VILLAGE
Superficie : 751 ha - Alt. : 535 m
Latitude :43° 50’ 03" Nord - Longitude : 7° 28’ 22" Est
417 habitants en 2020
Intercommunalité : Communauté d’agglomération de la Riviera française
Le troisième village de Castillon fut construit entre 1949 et 1953. Il se situe à 10 kilomètres au nord de Menton, à mis chemin entre le col géographique de Castillon et le littoral.

(Photos : André Laurenti)
[1] Dossier pédagogique sur le tremblement de terre de 1887 réalisé par les Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[2] Dossier pédagogique sur le tremblement de terre de 1887 réalisé par les Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[3] Le Petit Niçois du 21 mars 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[4] Le Petit Niçois : Extrait du journal du 07 mars 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[5] L’Éclaireur du Littoral : extrait du journal du 5 mars 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[6] Le Petit Niçois du lundi 7 mars 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[7] L’Éclaireur du Littoral du samedi 26 février 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[8] Le Var du dimanche 15 mars 1887 – médiathèque ville de Fréjus
[9] L’Éclaireur du Littoral du 28 février 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[10] L’Éclaireur du Littoral du 28 février 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[11] L’Éclaireur du Littoral du lundi 21 mars 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[12] Le Petit Niçois : Extrait du journal du 07 mars 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[13] Le Combattant Vigie Mentonnaise du 24 avril 1887 – Archives Municipales de Menton
[14] État des dégâts causés par le tremblement de terre de 1887 dans le département des Alpes-Maritimes - réf 1M982 – Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[15] L’Éclaireur du Littoral du 27 mars 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
[16] L’Éclaireur du Littoral du 5 avril 1887 - Archives Départementales des Alpes-Maritimes
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