Histoire de château

dimanche 23 octobre 2022

Tremblement de terre ligure du 23 février 1887

Ce nouveau sujet invite à quitter les Alpes-Maritimes pour se rendre juste en limite avec le département voisin des Alpes de Haute Provence. L’attention se portera sur deux châteaux situés dans les villages de Saint-Pierre et de la Rochette, ils furent tous deux endommagés par le tremblement de terre dont l’épicentre était pourtant à 95 km de l’épicentre supposé.

Le château de Saint-Pierre
A Saint-Pierre la littérature connu est un peu avare de détails. Dans le bulletin de la Société Scientifique et Littéraire des "Basses-Alpes" de 1887, le pharmacien chercheur Eugène Plauchud, rapporte que « dans cette petite commune de Saint-Pierre du canton d’Entrevaux, trois ou quatre maisons de campagne, mal entretenues, se sont écroulées faisant une victime » [1].

Commune de Saint-Pierre
Le village est situé sur un plateau à 740 m d’altitude.
(Photo : André Laurenti

Certains journaux feront de même voire associeront les dégâts à Entrevaux. C’est finalement le « Petit Provençal » qui fournira davantage d’informations sur les effets du séisme. L’article précise que "la toiture entière de l’ancien château s’est effondrée et a fait crouler les plafonds dans la partie habitée par l’aubergiste, lesquels décombres sont venus s’abattre sur le lit où était couchée sa femme, un lit exactement superposé dans une chambre supérieure est tombé avec les matières effondrées et est venu asphyxier la pauvre femme à peine âgée de 28 ou 29 ans (...) Son enfant, âgé d’environ 2 ans 1/2 qui était couché dans une petite couchette à côté de sa mère, a été sauvé par une planche qui, en s’appuyant au mur, avait formé une sorte de voûte (…). Le maire qui habitait l’autre partie de la maison a dû évacuer les lieux" [2].

Bâtisse forte de Saint-Pierre
La bâtisse est située à 1 km en amont du village.
A l’arrière, le donjon est accolé à la partie la plus ancienne de la bâtisse.
(Photos : André Laurenti)

Le château, qui correspond à la maison forte dite "château des Isnardy" du nom d’une des plus vieilles familles notables de Saint-Pierre existe toujours ; situé à 1 km en amont du village à côté du cimetière, deux dates figurent sur l’édifice, 1768 sur une pierre de la façade et 1673 sur la clé de voûte d’une porte.

Château Saint-Pierre
Deux dates figurent sur l’édifice, 1768 et 1673.
(Photos : André Laurenti)

Un chaînage d’angle en pierre partage l’édifice en deux, il révèle une extension sur un bâti ancien auquel le donjon situé à l’arrière semble associé. Toutefois, le cadastre de 1818, montre un bloc homogène : cette reprise est donc antérieure plus ancienne à 1818, et à fortiori à 1887.
La presse rapporte que la toiture en s’effondrant a endommagé les logements du dessous : on remarque que le chaînage de pierre situé au milieu de la façade, s’interrompt bien en dessous du faîtage. Au dessus la disposition des pierres semble différente et pourrait correspondre aux réparations effectuées après le tremblement de terre.

Bâtisse forte de Saint-Pierre
A partir de l’interruption du chaînage d’angle jusqu’au faîtage, on remarque une partie remaniée, il pourrait s’agir d’une reprise effectuée suite aux effets du tremblement de terre.
(Schéma réalisé par André Laurenti)

La Rochette

Non loin de Saint-Pierre, le village de la Rochette a lui aussi été affecté par le séisme. Une lettre du Maire adressée au Sous-préfet, fait état de dégât sur les édifices publics de la commune tels que la maison commune d’école, le presbytère qui sont réunis, l’église paroissiale et la chapelle de Saint-Joseph dite chapelle de secours. Ces bâtiments ont été assez endommagés et les réparations ont été estimées à 1 000 f. (environ 4000 € aujourd’hui) [3].
La presse rapporte des détails supplémentaires sur le bâti privé endommagé : selon l’Éclaireur du Littoral, 10 maisons s’écroulèrent, de nombreuses personnes furent blessées par les décombres, une étable qui abritait 70 têtes de bétail s’effondra tuant ou blessant tous les animaux [4]
Le Petit Provençal attire l’attention sur un bâtiment, le château. En 1793, ce château avait été vendu en lots et réaménagé en maisons d’habitation et en bâtiments ruraux ; une description en est donnée en 1861 par l’abbé Féraud : « l’ancien château seigneurial, élevé sur un roc, est soutenu par un grand nombre de voûtes qui se croisent dans tous les sens. On monte dans les appartements, non par des escaliers, mais par une large rue bordée d’un mur percé de meurtrière et grandes embrasures (…) » [5].

Extrait Cadastral de 1818 section G
Le château était une grande bâtisse de forme rectangulaire.
(Iconographie André Laurenti sur fond cadastral de 1818 - Archives départementales des AHP )

Le Petit Provençal relate : « une partie de l’ancien château s’est effondrée entraînant les voûtes et plafonds jusque dans les écuries où se trouvaient une paire de bœufs et des moutons, ces bestiaux ont presque tous péri (...) Un couple, habitant ce logement, a été entraîné dans l’éboulement (…), les deux personnes s’en sont tirés avec de fortes contusions" [6].
Comme le montre le cadastre de 1818, le château était une grande bâtisse de forme rectangulaire édifiée sur un éperon étroit.

Château de la Rochette
Sur cette photo, le château colorisé qui fut détruit définitivement en 1933.
(Source : panneautage patrimonial de la commune)

Après le tremblement de terre, le château resta en très mauvais état. Progressivement, l’ensemble dégradé devint dangereux pour les habitations situées en contrebas : les ruines ont été détruites en 1933, par un entrepreneur d’Annot [7].

Commune de la Rochette
Le village situé à 904 m d’altitude, est bâti en gradins exposés au midi. Tout en haut les restes de l’ancien château.
(Photo : André Laurenti)

Aujourd’hui, un cheminement a été aménagé menant à un belvédère et une table d’orientation, mais il reste très peu de traces de cette bâtisse : quelques murs et fondations apparaissent de-ci de-là, seuls témoins de ce qui fut le château de la Rochette.

Parmi les ruines du château
Un cheminement a été aménagé pour atteindre le belvédère et la table d’orientation
(Photo : André Laurenti)


Le village est bâti en gradins exposés au midi, et adossé contre une écaille calcaire relevée très étroite. Les dégâts au château pourraient s’expliquer par la vétusté des constructions, mais aussi par une amplification des ondes liée à cette disposition géologique particulière.

Bâti sur une écaille rocheuse
Le village s’appuie sur cette écaille rocheuse étroite et relevée, le château était tout en haut de cet éperon dominant le village.
(Photos : André Laurenti)

[1Plauchud E. Le tremblement de terre du 23 février 1887 – Annales des Basses Alpes – Bulletin de la Société Scientifique et Littéraire des Basses Alpes – T3 1887 - Digne

[2Le Petit Provençal du 27 février 1887 – Retronews site de presse de la BNF

[3Lettre du Maire de la Rochette au Sous-Préfet de Castellane en date du 9 mai 1887 – Dossier 4M 113 - Archives Départementales des Alpes de Haute Provence

[4L’éclaireur du littoral, 26 février 1887 - Arch. Dép. Des A.-M.

[6Le Petit Provençal du 27 février 1887 – Retronews site de presse de la BNF